vendredi 18 septembre 2009

David Servan-Schreiber : "Proscrire le mobile au-dessous de 12 ans"


Article publié dans Le Point, le 17 septembre 2009

David Servan-Schreiber monte au créneau contre les mauvaises ondes des portables.

Propos recueillis par Christophe Labbé et Olivia Recasens

Pour eux, il y a de plus en plus de raisons d’être inquiet. Le téléphone portable pourrait bien augmenter le risque de cancer du cerveau. Surtout chez les enfants. Eux ? Un collectif de 40 chercheurs issus de 14 pays qui vient de passer au crible toutes les études parues sur les effets des ondes émises par la téléphonie mobile. Un pavé dans la mare, alors que depuis deux ans on attend les résultats de la plus grande étude épidémiologique jamais menée sur les dangers du portable, avec 14.000 malades suivis sur dix ans. Interphone, lancée en 1999 par l’Union européenne, avec un financement de l’industrie des télécoms, aura coûté 10 millions d’euros pour rien puisqu’à ce jour les cinquante chercheurs mobilisés n’ont pas été capables de se mettre d’accord. Sans attendre, la commission sur la santé du Congrès américain a consacré, lundi 14 septembre, une séance aux effets du mobile sur la santé et la nécessité d’imposer une taxe aux opérateurs pour financer les recherches médicales sur le sujet. A l’origine de cette initiative, un Français, le neuropsychiatre David Servan-Schreiber. Le médecin et chercheur en neurosciences, auteur du best-seller « Anticancer » (1), a convaincu l’une des figures du Sénat, le démocrate Arlen Specter, 79 ans, de poser les questions qui fâchent au sujet des ondes électromagnétiques.


Le Point : En juin, vous avez signé avec 20 scientifiques internationaux un appel à la prudence concernant les téléphones portables. Un récent rapport a confirmé vos craintes. Peut-on affirmer que le portable est dangereux pour la santé ?


David Servan-Schreiber : Nous n’en avons pas encore la preuve définitive. Mais nous disposons de suffisamment d’indices pour justifier un effort de recherches massif et demander d’augmenter le niveau de protection des utilisateurs, notamment des enfants. Les rayonnements électromagnétiques pénètrent dans le cerveau. Ces ondes ont également un impact biologique, aucun scientifique sérieux ne peut plus nier qu’elles perméabilisent la barrière hémato-encéphalique, ce filtre normalement étanche entre la circulation sanguine et le tissu cérébral. De même on s’aperçoit que des végétaux réagissent aux ondes électromagnétiques comme s’il s’agissait d’une agression physique. Ils montrent la même souffrance que face à un coup de chaleur ou de gel. Et il y a ces nouvelles études encore controversées qui évoquent des modifications de l’ADN.


Le Sénat américain vient d’évoquer l’idée d’une taxe payée par les opérateurs pour financer la recherche. Est-ce le signe que les pouvoirs publics ont pris l’ampleur du problème ?



C’est un signal positif. Cette taxe de 1 dollar par abonnement permettrait de financer des études scientifiques indépendantes. En trois ans, on disposerait de 1 milliard de dollars et l’on pourrait trancher définitivement la question : le portable est-il dangereux pour notre santé ? Reste à convaincre les opérateurs américains...


Pourquoi certaines études sur l’impact des portables ne montrent-elles aucun effet sur le cerveau ?



Les études officielles financées intégralement ou partiellement par l’industrie des télécoms ont par nature tendance à sous-estimer le risque. C’est l’éternel problème des conflits d’intérêts. Les scientifiques ont besoin d’argent pour financer leurs recherches et se retrouvent ensuite plus ou moins liés à leurs financeurs, qui se trouvent être des industriels. Ainsi, 67 % des études indépendantes constatent un impact délétère des ondes électromagnétiques, et seulement 28 % quand elles bénéficient de l’argent de l’industrie des télécoms. Cela dit, je ne crois pas au complot. Prenez l’étude européenne Interphone. Si les résultats définitifs tardent à sortir, ce n’est pas la faute des industriels, même s’ils doivent verser des larmes de crocodile : Interphone ne pourra pas trancher la question qui lui a été posée parce qu’elle manque de recul. Dix ans, c’est insuffisant pour observer une augmentation du nombre de cancers. Même avec le tabac on n’aurait vu aucun impact sur le cancer du poumon !


Aujourd’hui, près de 20 % des écoliers et 65 % des collégiens ont un mobile. Faut-il le leur enlever pour les protéger ?


Les enfants sont en première ligne. Même si leur étude manquait de puissance statistique, des chercheurs suédois ont montré qu’utiliser un téléphone portable avant 20 ans pourrait augmenter d’un facteur cinq le risque de cancer. Il faut proscrire l’usage du portable au-dessous de 12 ans et le déconseiller avant 15 ans. Les organes en développement sont plus sensibles aux champs électromagnétiques. C’est pourquoi le foetus est particulièrement exposé, les ondes traversant la barrière placentaire. Les femmes enceintes doivent impérativement se tenir éloignées des portables. Certaines études ont montré que transporter son portable dans la poche de son pantalon pouvait impacter la stérilité en diminuant la quantité de spermatozoïdes. En outre, le portable se trouve alors à proximité de la hanche, qui est l’une des principales sources de production de moelle osseuse et donc de globules rouges et blancs, mais aucune étude n’a été menée sur un éventuel effet.


Vous n’avez pas peur de passer pour un technophobe ?



Je ne suis ni militant ni technophobe. Toutes les ondes ne sont pas à ranger à la même enseigne. Le rayonnement du Bluetooth est cent fois moindre que celui du mobile. Quant aux ondes des antennes relais, à mon sens, les données sont encore insuffisantes pour conclure à l’existence d’un risque. Pour les portables, soyons réalistes. Nous ne pouvons plus nous en passer ; même moi, qui suis porteur d’un cancer du cerveau, j’en utilise un ! Mais quelques précautions indispensables s’imposent. Nous n’avons pas renoncé à la voiture malgré le risque d’accidents, mais nous ne roulons pas de la même façon qu’il y a trente ans. Nous nous servons des ceintures de sécurité, nous avons des airbags... Toute technologie comporte un risque, il faut savoir le maîtriser pour le rendre acceptable.


1. Robert Laffont.

À consulter : www.guerir.fr/dossiers/pollutions

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