mardi 29 septembre 2009

Le cellulaire est-il la cigarette de l’an 2000 ?

Article publié dans le journal Métro de Montréal, le 10 septembre 2009

Les téléphones cellulaires sont-ils nocifs pour l’humain? Difficile à dire. Depuis une décennie, les études se multiplient, mais aucune conclusion irréfutable n’a été tirée.

D’ici quelque mois, les résul­tats très attendus de la plus grande étude jamais faite sur le sujet, Interphone, seront publiés. Commandée par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) en 2000, elle rassemble les expertises de chercheurs provenant de 13 pays, dont le Canada. Ceux-ci ont eu la difficile tâche d’établir s’il existe ou non un lien entre l’utilisation du téléphone cellulaire et le cancer du cerveau.

La professeure Marie-Élise Parent, de l’INRS-Institut Armand-Frappier, a collaboré à l’étude épidémiologique Interphone. Bien qu’elle ne soit pas en mesure de dévoiler les résultats – huis clos oblige –, elle soutient que cette étude ne fera pas le lien de façon indiscutable entre le téléphone cellulaire et les maux du corps humain. «Elle va apporter des évidences importantes, assure Mme Parent, mais on ne pourra pas dire avec une estampe que l’un cause l’autre. On est très prudent là-dessus.»

«La preuve est là»

Pour le porte-parole du collectif Sauvons nos enfants des micro-ondes (SEMO), François Therrien, les effets nocifs du téléphone cellulaire sur le corps humain ont été démontrés. «La preuve, c’est le rapport Bioinitiative», dit-il. Ce document, publié en 2007 par un groupe international d’experts, se veut une synthèse de plusieurs recherches parues au cours des deux dernières décennies. «Cette synthèse prouve à mon sens hors de tout doute les effets des micro-ondes», soutient M. Therrien.

Le rapport Bioinitiative appelle entre autres les gouvernements à la prudence en matière de normes de sécurité sur les champs électromagnétiques. Il mentionne également qu’une «personne qui utilise un téléphone cellulaire depuis 10 ans ou plus est davantage susceptible de développer un cancer du cerveau, et c’est encore pire si elle l’utilise plus d’un côté de la tête que de l’autre».

Une preuve incontestable difficile à établir

S’il est si difficile pour les scientifiques de s’entendre sur les effets nocifs ou sans gravité du téléphone cellulaire, c’est que cet appareil s’est répandu dans la plupart des foyers depuis relativement peu de temps. «Au Canada, c’est au cours des années 1990 qu’on a commencé à voir dans la population des cellulaires, explique Mme Parent. Et pour qu’un cancer se développe, ça prend une vingtaine d’années. Alors, il fallait avoir un minimum de recul et une durée suffisante d’exposition pour entrevoir une possibilité de développement d’un cancer.»

Qui plus est, les chercheurs doivent s’assurer que le cancer développé par un utilisateur de téléphone cellulaire est bel et bien causé par l’appareil et non par autre chose. C’est pourquoi les chercheurs de l’étude Interphone ont posé beaucoup de questions aux participants pour trouver les causes possibles de leur cancer.

«On joue souvent à l’avocat du diable, fait savoir Marie-Elise Parent. On essaie d’expliquer nos résultats de façon différente. On essaie de les détruire autant qu’on peut, d’être le plus critique possible pour que, finalement, il ne nous reste qu’une seule hypothèse et que ce soit celle qu’on voulait étudier.»


Des précautions à prendre


L’auteur des best-sellers Guérir et Anticancer, le Dr David Servan-Schreiber, a rassemblé un groupe d’experts en 2008 pour définir quelques précautions à prendre avec un téléphone cellulaire :
# À interdire aux enfants de moins de 12 ans sauf en cas d’urgence.
# Utiliser le téléphone à distance du corps, sinon avec des dispositifs mains libres.
# Se tenir à distance d’une personne qui utilise son portable et éviter d’en utiliser un en public.
# Ne pas porter un téléphone cellulaire sur soi si possible, même en mode veille. Sinon, il faut s’assurer que la face «clavier» soit dirigée vers son corps et la face «antenne» vers l’extérieur.
# Utiliser le téléphone cellulaire pour de courtes conversations et changer l’appareil de côté régulièrement.
# Éviter d’utiliser le téléphone lorsque le signal est faible.
# Communiquer par textos plutôt que par la voix.
# Choisir un appareil avec le débit d’absorption spécifique (DAS) le plus bas possible.


Un lobby puissant?


Cette preuve incontestable que les scientifiques tentent de trouver, serait-elle rendue plus difficile à établir à cause du lobby des télécommunications sans fil? Le porte-parole du Collectif Sauvons nos enfants des micro-ondes (SEMO), François Therrien, croit que oui. «L’industrie a financé des études pour [invalider] des études scientifiques qui prouvent que l’intensité des ondes d’un cellulaire ou d’une antenne a des effets nocifs pour la santé», rapporte-t-il.

Ce dernier mentionne que la part canadienne de l’étude Interphone a été financée par l’industrie des communications sans fil, ce qui discrédite, selon lui, le travail des chercheurs commencé il y a bientôt une décennie.

«Nous avons participé financièrement à l’étude Interphone, mais sans plus», admet le directeur des communications de l’Association canadienne des télécommunications sans fil, Marc Choma.

Même son de cloche du côté de la professeure Marie-Élise Parent, de l’INRS-Institut Armand-Frappier. «Il y a des argents qui ont été fournis pour développer le protocole commun, explique-t-elle. Mais les investisseurs n’ont rien à dire sur ce qu’on publie. Je peux en attester. Il n’y a personne qui m’a dit qu’il fallait que je publie cela plutôt que ça.»

«L’industrie des télécommunications sans fil ne fixe par les normes de sécurité sur l’intensité des ondes, se défend M. Choma. C’est Santé Canada et Industrie Canada qui décident de ces normes. Ils se fient à des organismes internationaux, comme l’Organisation mondiale de la santé, qui ont déterminé qu’il n’y avait pas de risque à utiliser un téléphone cellulaire selon les normes de santé en vigueur.»

En attendant
Le débat sur les effets du téléphone cellulaire sur le corps humain est loin d’être terminé. En attendant la preuve indubitable des scientifiques, vaut-il mieux ranger son téléphone cellulaire comme on a écrasé nos cigarettes dans les années 1990? «Je pense que c’est prématuré de dire qu’on va observer la même chose que pour la cigarette, soutient Mme Parent.

[Mais] c’est toujours possible qu’une nouvelle étude mette en lumière un risque plus grand que ce qu’on pourrait rapporter dans l’étude Interphone.»

MARIE-EVE SHAFFER
MÉTRO
10 septembre 2009 00:24

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